[Histoire] Brève histoire de l'enfance en Occident
Forum d'écriture d'Histoires de Romans :: L'écritoire publique :: Fiches d'aide à l'écriture :: Fiches Connaissances particulières
Page 1 sur 1 • Partagez
[Histoire] Brève histoire de l'enfance en Occident
Histoire de l’enfance
Notre société porte un regard particulier sur l’enfance, âge que nous cherchons collectivement à protéger et qui porte des enjeux spécifiques, comme le soulignent les déclarations et conventions internationales des droits de l’enfance formulées au cours du XXème siècle. Notre conception contemporaine de l’enfance est un construit historique, qui hérite de siècles de réflexions sur la spécificité de l’âge enfantin. L’histoire de l’enfance, champ d’étude récent, nous permet d’éclairer la façon dont s’est constitué notre rapport à l’enfance — tant dans sa définition que dans notre conduite envers celle-ci. Notre rapport à l’enfance est clairement exprimé dans le préambule de la Convention Internationale des droits de l’enfant : « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après sa naissance ». Nous verrons comment ces propositions, rédigées en 1989, ne sont pas une innovation contemporaine mais bien le résultat d’une lente construction historique de l’enfance. Il convient ici de nuancer, sinon de réfuter, l’hypothèse de Philippe Ariès — historien des mentalités pionnier dans l’histoire de l’enfance — selon laquelle le sentiment de l’enfance comme classe d’âge spécifique serait apparue sous l’Ancien Régime autour du XVIIème siècle, en rupture avec un moyen-âge indifférent à l’enfance. Nous prendrons comme point de départ de notre réflexion non l’époque médiévale, mais l’antiquité grecque et romaine, et nous nous intéresserons à l’élaboration des critères de définition de l’enfance, au rapport particulier entre l’enfant et la justice, puis aux soins spécifiques accordés aux enfants.
Premièrement, penchons-nous sur la façon de définir l’enfance. Si la définition de l’enfance, fournie par la déclaration des droits de l’enfant se résume à « tout être humain de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable »(1), nous voyons émerger dans son préambule deux critères importants qui justifient sa protection, à savoir « son manque de maturité physique et intellectuelle ». Ces critères, physiologiques et intellectuels, sont des critères qui étaient déjà utilisés dès l’antiquité. L’enfant est considéré comme un être faible, au stade zéro du développement humain selon Aristote ; il est un infirmitas à Rome.
La première distinction de l’enfance se fonde sur des critères physiologiques : est enfant celui et celle qui n’est pas pubère, qui n’est pas en mesure de se reproduire. C’est pour cette raison que la majorité est souvent fixée entre 10 et 14 ans, dans différentes cultures et sphères géographiques. Dans l’empire romain, on fait la différence entre « infans », « infanti proximus » et « pubertati proximus » (2) ; à 14 ans sous la République, le jeune garçon est considéré comme juridiquement majeur en raison de sa puberté. C’est ce critère physiologique qui semble être en vigueur chez les Francs pour déterminer la majorité à 12 ans. Les filles deviennent généralement majeures plus tôt que les garçons en raison de leur puberté plus précoce (la ménarche arrivait entre 9 et 14 ans). Le droit coutumier du moyen-âge hérite largement des conceptions romano-canoniques, et le plena aetas est fixé généralement entre 10-12 pour les filles et 15-20 ans chez les garçons.
Mais on prend également en compte les critères intellectuels. Nous avons déjà dit que chez les grecs, l’enfant était considéré comme au stade zéro du développement, un adulte en devenir qu’il faut éduquer. Pour les romains, les pueri infantes sont ceux qui ne parlent pas ; on fait d’ailleurs la distinction entre les petits enfants de moins de sept ans, infantes, qui ne parlent pas (fari) et les enfants capables d’organiser leur langage (loqui).
Nous connaissons également des critères moraux. Aujourd’hui encore nous considérons l’enfance comme l’âge de l’innocence. Cette conception, si elle existait déjà dans l’antiquité païenne, sera largement développée par le christianisme dont un grand courant considère les enfants comme des êtres purs et angéliques, incapables de concevoir le mal (doli incapax) ou de mentir. Cette vision idéaliste s'oppose à un autre courant de pensée très répandu depuis l'antiquité, qui conçoit les enfants comme des êtres sans intelligence, sans morale, malicieux, livrés à leurs caprices et incapables de se maîtriser ou de raisonner, et qu'il faut donc dresser à devenir un adulte.
Ces critères amènent à définir des âges de la vie. Aujourd’hui nous distinguons entre petite enfance, enfance, adolescence. Ce découpage de la jeunesse trouve ses racines dès l’antiquité : Sparte fait la différence entre les paides (7-12 ans) et les merakai (12-20 ans) ; Rome entre les infantes, pueri, juniores ou pubertatis ; le moyen-âge établit lui divers systèmes de découpe des âges, souvent imprécis, qui héritent largement du droit romain, et l’époque moderne élabore des systèmes en 7 ou 12 classes d’âges, en lien avec l’astrologie. Notez que l'adolescence comme catégorie d'âge spécifique, avec une certaine forme d'autonomie comme dans notre société, est un concept tardif qui émerge surtout au XXème siècle.
Intéressons désormais au droit, qui est une source privilégiée d’information quant aux catégories d’âge. Nous considérons que l’enfant « a besoin d’une protection spéciale […] et notamment d’une protection juridique appropriée » (3) . Cette idée d’une juridiction qui s’adapte aux mineurs n’est pas contemporaine. En raison du caractère immature de l’enfant, celui-ci est généralement considéré comme incapable juridiquement.
Dans la Rome archaïque, l’enfant est pénalement responsable mais sa peine est modérée (4) —c’est le principe de mitigation de la peine, apparue dès le code d’Amourabi. Sous la République, l’enfant est considéré incapable juridiquement jusqu’à ses 25 ans et c’est donc le pater familias qui est responsable pour lui devant la justice ; le code Justinien fait lui la différence entre l’infantati proximus, considéré comme doli incapax, et le pubertati proximus, doli capax. Les coutumiers du moyen-âge montrent une grande variété dans les pratiques et généralement peu d’indications sur les peines par âge ; généralement l’enfant de moins de 7 ans est considéré irresponsable, mais passé cet âge il peut être condamné à mort comme un adulte. Cependant, les peines étaient souvent modérées par le juge au cas par cas, selon que l’enfant était proche ou non de sa puberté, et selon son degré de discernement et sa volonté de faire ou non le mal (selon le principe du malicia supplet aetas, la malice supplée à l'âge). Nous héritons largement de ces réflexions aujourd’hui, car en France on fait la différence juridique entre les mineurs de moins de 10 ans (irresponsabilité totale), ceux de 10 à 13 ans dotés de discernement (appréciation du juge), puis entre ceux de 13 à 16 ans et de 16 à 18 ans.
L’idée de protection de l’enfance se développe avec le christianisme, qui lutte contre l’infanticide pratiqué par les sociétés antiques avec l’exposition, mais aussi contre l’avortement — particulièrement réprouvé passé les 3 premières semaines suivant la fécondation, qui sont censées être la période de l’animation.
L’enfant et le jeune sont généralement sous la tutelle de leur parenté, ils sont alieni juri, et leur principal milieu social est celui de la famille. L’église lutte petit à petit contre la potestas absolue du pater familias, qui avait droit de vie et de mort sur ses enfants, petits-enfants, épouse, brues, esclaves et animaux. Au moyen-âge, les parents ou tuteur.s du mineur criminel sont considérés responsables de ses délits et, sauf si le mineur est émancipé (procédure par laquelle il devient sui juri).
Enfin, nous considérons que l’enfant « a besoin […] de soins spéciaux » (5) , parmi lesquels l’affection, les soins médicaux, ou encore l’éducation. Ces préoccupations sont également anciennes et se retrouvent dès l’antiquité.
Tout d’abord, soulignons qu’il existe une culture matérielle spécifique au monde de l’enfance : l’archéologie et l’iconographie montrent qu’il existait du mobilier adapté à la petite taille des enfants, des objets servant aux soins (papins, berceaux…), ou encore des jouets (parfois coûteux).
En ce qui concerne l’affection qui doit être donnée aux enfants, on en trouve des traces jusque dans l’antiquité romaine par l’existence d’un lexique affectueux (pupus (poupon), pullulus (poussin), putus (petit garçon)… pour désigner un petit enfant) ou par le soin apporté aux funérailles de l’enfant mort, à qui on rend hommage par une épitaphe affectueuse, ou bien en dotant la tombe de riche mobilier funéraire (armes miniatures pour le petit prince Franc de Cologne). Les récits de moyen-âge nous renseignent aussi sur l’amour qui était donné aux enfants, notamment à travers les scènes d’affliction lors de leur mort : Grégoire de Tours consigne que son évêché a « perdu des petits enfants charmants et qui nous étaient chers (dulces et caros nobis infantulos), que nous avions réchauffés dans notre sein, portés dans les bras, ou nourris de notre propre main […] avec un soin délicat. » et mentionne les « larmes » qu’ils ont versées (6).
Il ne faut pas cependant oublier que les enfants étaient souvent maltraités dans l’antiquité et le moyen-âge et que les châtiments corporels étaient recommandés pour leur éducation.
En ce qui concerne les soins médicaux, bien que les médecins antiques semblent négliger les enfants nouveau-nés — dans une perspective eugéniste et pré-malthusianiste — ils élaborent des conseils pour prendre soin du puer, conseils qui se renouvelleront tout au long du moyen-âge puis de l’époque moderne. Les médecins recommandent une hygiène et une alimentation particulière, ainsi que des massages pour que le corps se développe bien. Cependant, la médecine est longtemps impuissante devant les maladies des enfants, et ce ne sera qu’au XIXème siècle qu’elle parviendra à faire chuter considérablement la mortalité infantile (1 enfant sur 5 meurt avant sa première année dans la Rome antique, près de 1 sur 2 au Haut Moyen-Âge).
Enfin l’éducation a été un souci majeur depuis l’antiquité. Si le droit à l’éducation pour tous les enfants est acté dans la Convention des droits de l’enfant (7), pendant des siècles la scolarité fut réservée à une minorité d’enfants, issus des classes dominantes. Spartes encasernait ses jeunes hommes dès l’âge de 7 ans pour leur prodiguer une éducation essentiellement militaire, Athènes éduquait ses enfants grâce à de petites écoles payantes ou à des précepteurs particuliers. Rome fut longtemps méfiante envers les écoles grecques, et leur préféra des précepteurs particuliers afin de garder l’enfant dans le cercle familial. Au moyen-âge, l’éducation fut essentiellement prise en charge par le clergé, bien que certains laïques aient placé leurs enfants dans une cour ou à la garde d’un précepteur, et que des écoles restèrent longtemps ouvertes en ville. C’est en réaction au protestantisme que se développèrent à nouveau les petites écoles dans les campagnes. À l’époque moderne, des collèges tenus par des religieux se créent, mais c’est au XIXème siècle que se parachève l’établissement d’un système scolaire concernant tous les enfants, indifféremment de leur milieu d’origine. Cependant, contrairement à aujourd’hui, garçons et filles n’étaient pas éduqués de la même façon, et l’éducation des filles se résumait souvent à celle des travaux mulières et à une éducation religieuse.
La plupart des enfants, jusqu'à l'interdiction du travail des enfants à la fin du XIXème siècle, étaient éduqués dans le champ professionnel, en apprentissage chez un artisan, ou bien chez ses parents. L'alphabétisation des masses a fait un bond au XIXème siècle, avec notamment les lois Ferry qui ont rendu l'école primaire obligatoire pour tous les enfants, garçons et filles.
Ainsi nous voyons à la fin de cet exposé à quel point notre rapport à l’enfance est issu d’une longue, et chaotique, construction historique, qui trouve ses origines dans l’antiquité et se développe au moyen-âge, puis à l’époque moderne, avant de prendre la forme que nous lui connaissons aujourd’hui à travers la réflexion des XIXèmes et XXème siècles.
2 Code Justinien.
3 Convention Internationale des droits de l’enfant, préambule.
4 Loi des Douze Tables, Vème siècle a.C.
5 Convention Internationale des droits de l’enfant, préambule.
6 Grégoire de Tours, Decem Libri Hitoriarum, liber V, 34.
7 Convention Internationale des droits de l’enfant, article 28.
- La Boiteuse
- À la fin de l'envoi, je touche !
Emploi/loisirs : à la recherche du stage perdu
Date d'inscription : 02/11/2018
Nombre de messages : 1393
Avatar © : La Boiteuse
Sujets similaires
» [Histoire] Une petite histoire du handicap et de la difformité, à partir d'extraits littéraires
» [Histoire] Un moment d'Histoire : les grandes batailles et les grands Empires
» [Histoire - Littérature] Jalons d'histoire du roman
» III. SIGNATURE DU RÈGLEMENT
» [Histoire] La cuisine au moyen-âge
» [Histoire] Un moment d'Histoire : les grandes batailles et les grands Empires
» [Histoire - Littérature] Jalons d'histoire du roman
» III. SIGNATURE DU RÈGLEMENT
» [Histoire] La cuisine au moyen-âge
Forum d'écriture d'Histoires de Romans :: L'écritoire publique :: Fiches d'aide à l'écriture :: Fiches Connaissances particulières
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum